2024-10-10
Équipe de rédaction EthiLEX
FAITS ET PROCÉDURES: Un club de football russe a mis fin au contrat qui le liait à un joueur français, ce qui a conduit à une procédure devant la commission de règlement des litiges de la FIFA. Le joueur a négocié un nouveau poste avec un club de football en Belgique, mais cette transaction potentiellement lucrative a échoué parce que les règles de transfert de joueurs de la FIFA exigent que (1) tout nouveau club employant un joueur soit conjointement responsable du paiement des amendes dues au club précédent, (2) un tel club est présumé avoir incité le joueur à quitter le club précédent et serait puni en conséquence, et (3) le transfert lui-même nécessite des documents que l'association nationale de football concernée n'est pas autorisée à fournir dans les cas où le contrat de travail est résilié avant son terme et sans consentement mutuel. Le joueur a poursuivi la FIFA et l'URBSFA (l'association nationale belge de football) devant les tribunaux de commerce belges en vue d'obtenir des dommages-intérêts pour perte de chance. La cour d'appel de Mons a donné raison au joueur, mais est allée plus loin en introduisant une demande de décision préjudicielle auprès de la Cour de justice afin de déterminer si les trois règles susmentionnées du système de transfert de la FIFA n'étaient pas effectivement contraires au TFUE, en particulier à l'article 45 sur la libre circulation des travailleurs et à l'article 101 sur les restrictions à la concurrence. La Cour de justice a accepté d'entendre la demande de décision préjudicielle et n'a heureusement pas été attirée par les divers arguments procéduraux fallacieux que la FIFA et d'autres ont utilisés pour tenter de bloquer l'affaire (pts. 61-73).
RÉSUMÉ DE LA DÉCISION AU PRINCIPAL: En ce qui concerne la libre circulation des travailleurs au sein de l'UE (TFUE, art. 45), la Cour a estimé que même si la résiliation du contrat de travail avec un club précédent était motivée par une cause légitime et même si le nouveau club pouvait démontrer qu'il n'avait pas incité à cette résiliation, le spectre d'être conjointement responsable d'une forte amende est suffisant pour dissuader tout nouveau club potentiel d'engager un joueur de manière ferme, ce qui est particulièrement problématique pour les joueurs qui cherchent activement à travailler dans un autre État membre (pts. 91-92) (car ces travailleurs doivent investir davantage dans leur recherche d'emploi que ceux qui cherchent localement). Il en va de même pour la règle interdisant l'autorisation de transferts entre clubs en cas de licenciement contesté, qui empêche tout simplement la circulation internationale des joueurs en pareilles circonstances (pt. 93).
Devant l'évidence de cette conclusion, FIFA et al. ont tenté de s'accrocher aux pailles et ont prétendu - comme le font de nombreux grands monopoles - que leur système rigide (en plus d'être une source de revenus de plusieurs milliards de dollars) est dans l'intérêt public, plus précisément, qu'il assure la stabilité de l'emploi et des clubs, et qu'il protège les footballeurs professionnels. La Cour leur a succinctement rappelé qu'assurer la stabilité de l'emploi n'est pas une mission qui figure dans leurs statuts, ni une responsabilité qui leur est conférée par une autorité publique, et que leurs règles qui bloquent la mobilité des joueurs ne sont pas censées protéger les joueurs (pt. 99). Même si l'imposition de règles rigides conduit, par définition, à un système stable de clubs et de compétitions, les règles de la FIFA vont "très au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif" légitime et, dans certains cas, ces règles sont "manifestement dépourvue de tout rapport de proportionnalité" ou méconnaissent "de façon manifeste le principe de proportionnalité" (pts. 104 et seq.). Le choix de ces termes forts semble indiquer que la Cour en a eu assez des décennies de manigances juridiques de la FIFA, et arrive à la conclusion évidente que les trois éléments du système de la FIFA sont effectivement incompatibles avec l'article 45 du TFUE (pt. 114). Toutefois, comme elle a l'habitude de toujours tempérer ses conclusions, la Cour ajoute qu'il n'y aurait pas de violation si l'on pouvait démontrer qu'elles "ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire à la poursuite de l’objectif consistant à assurer la régularité des compétitions de football interclubs, en maintenant un certain degré de stabilité dans les effectifs des clubs de football professionnel" (pt. 114). Mais étant donné que les règles actuelles sont très loin d'être proportionnelles, il serait permis de supposer que les règles de transfert de FIFA devront faire l'objet d'une révision majeure.
L'analyse de la CJUE sur la violation potentielle de l'article 101 TFUE est tout aussi franche, allant jusqu'à qualifier les règles de la FIFA de restriction par objet. Ce type d'infraction particulièrement grave requiert des comportements ayant "un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré qu’un examen de leurs effets n’est pas nécessaire [et qui] peuvent être regardées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence" (C-333/21, European Superleague Company, pt. 162 et arrêts cités, qui concernait également les règles de la FIFA). En l'espèce, la Cour définit (inter alinea) le marché en question (sur lequel la concurrence doit être protégée) comme étant le vivier international de footballeurs professionnels qui travaillent activement pour un club, et les opérateurs sur ce marché comme étant les clubs de football professionnels qui cherchent à recruter des joueurs au niveau international (pt. 138) et de manière unilatérale (par opposition à un transfert négocié). Cela peut sembler, à première vue, comme étant une définition artificiellement étroite du marché en cause, mais elle résulte en réalité de la définition même du "footballeur professionnel", c'est-à-dire quelqu'un qui est payé pour jouer au football (par un club) dans le but de gagner sa vie. Bien qu'à tout moment il y ait certainement des joueurs qui ne sont pas employés par un club, la majorité des footballeurs professionnels sont, par définition, engagés. De même, bien que de nombreux transferts internationaux soient négociés, sur un marché véritablement libre, les clubs devraient pouvoir accéder à leurs "ressources" (les joueurs) de manière indépendante, de la même manière que les entreprises cherchant à embaucher d'autres types de travailleurs devraient pouvoir le faire sans avoir à négocier avec leurs employeurs actuels. Cela ne veut pas dire que les clubs ne devraient pas imposer des amendes aux joueurs en cas de résiliation anticipée et injustifiée de leur contrat de travail, mais cette amende, combinée aux pressions naturelles du marché entre clubs concurrents (et joueurs concurrents), serait suffisante pour assurer la stabilité des équipes et, par extension, des conditions de jeu équitables dans les compétitions. Ce n'est pas la relation club/joueur (y compris les amendes) qui est problématique ou en cause dans la décision actuelle, mais plutôt la couche supplémentaire imposée par la FIFA qui empêche toute concurrence libre et sans entrave entre les clubs cherchant à recruter unilatéralement des joueurs dans ce vivier de talents. Bien qu'un marché libre conduise effectivement à une augmentation du braconnage par des clubs plus grands et plus riches, cela pourrait être empêché par des amendes plus importantes imposées au niveau des clubs. Au lieu de cela, les règles de FIFA "sont assimilables à une interdiction générale, absolue et permanente du recrutement unilatéral de joueurs déjà engagés... [et] viennent ainsi figer la répartition de ces ressources entre ces clubs... [e]lles constituent, à ce titre, une restriction patente de la concurrence à laquelle lesdits clubs pourraient se livrer en leur absence, aboutissant à un cloisonnement du marché au profit de l’ensemble de ces mêmes clubs" (pt. 146). L'ajout apparemment superflu des mots "au profit de l’ensemble de ces mêmes clubs" est en fait un rappel subtil mais important de l'arrêt European Superleague (C-333/21) selon lequel d'autres clubs indépendants, en dehors du système de la FIFA, pourraient également bénéficier d'un marché du recrutement ouvert. La Cour estime que, malgré d'éventuelles arrière-pensées dans l'intérêt du public, les règles de la FIFA ont été délibérément conçues pour garantir le blocage des transferts unilatéraux indépendants. Ces règles "présentent, par leur nature même, un degré élevé de nocivité à l’égard de la concurrence" entre les clubs sur le marché pertinent du recrutement des joueurs, et doivent donc être considérées comme une infraction "par objet" au titre de l'article 101 du TFUE (pt. 148). La Cour, par souci d'exhaustivité ou peut-être pour renforcer son argumentation, mentionne à demi-mot l'exception limitée de l'article 101(3), mais arrive à la conclusion inévitable que les règles de la FIFA ne remplissent pas ses conditions cumulatives (pt. 157, ou, du moins jusqu'à ce qu'il soit prouvé qu'elles les remplissent, pt. 158).
ANALYSE: Dans le célèbre arrêt Bosman (C-415/93), qui impliquait également l'URBSFA et la FIFA, la Cour avait déjà jugé que les associations sportives ne pouvaient subordonner l'obtention d'un nouvel emploi au versement d'importantes sommes d'argent à l'ancien employeur d'un joueur (C-415/93, pt. 114). Dans l'affaire European Superleague plus récente et tout aussi importante, la Cour a également estimé qu'une autre série de règles de la FIFA (empêchant la participation à des compétitions non organisées par la FIFA) étaient également anticoncurrentielles par leur objet (C-333/21, pts. 178-179). La conclusion du présent arrêt était aussi inévitable qu'évidente ; il est également regrettable que, pour diverses raisons (notamment des efforts de lobbying massifs et des interventions de gouvernements intéressés), il ait fallu des décennies pour y parvenir. Avec chaque décision FIFA successive, la CJUE et les tribunaux nationaux s'attaquent à la structure monopolistique rigide que la FIFA et al. ont imposée au football à l'échelle mondiale. La réponse de la FIFA, diffusée trois jours après l'arrêt, a consisté à mettre en ligne une nouvelle section d'information sur les transferts, un "outil interactif permettant aux supporters de suivre l'évolution des transferts dans le monde entier" (notre traduction). La FIFA continue d'afficher fièrement les 6,45 milliards de dollars de frais de transfert internationaux en haut de sa page "Mid-year 2024 International Transfer Snapshot". Cette réaction défiante est similaire à celles de Meta, Apple, et Google en réponse à leurs amendes respectives. La CJUE fait de son mieux pour fournir les clous, mais le couvercle du cercueil de leurs monopoles est encore maintenu solidement ouvert. Les liasses de billets sont presque impossibles à comprimer.
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